Une semaine à "Traces de Vie",

festival documentaire de Clermont Ferrand et Vic le Comte

du 26 novembre au 1er décembre, 2012


Notes de Michael Hoare

    Plusieurs films de la sélection cette semaine portaient sur des enjeux sociaux et planétaires forts. Voici des notes prises jour après jour, mentionnant les films qui m'ont frappés.


Lundi 26 novembre


Chronique d'une mort oubliée, Pierre Morath, 2012, Suisse, 62', Point Prod, RTS


Reportage télé prenant et poignant sur la vie et la mort dans l'oubli d'un homme, Michel Christen, qui n'a strictement rien de spécial. Un raté de la vie peut-être, un alcoolique probablement, handicapé, chômeur certes, mais bénéficiant d'allocations et d'un "suivi social" adéquat et suisse, autrement dit, bien organisé. Mais précisément, dans les rouages des machineries d'assistance qui roulent bien mais qui se coordonnent peu, sa mort n'est pas aperçue, les voisins ne s'inquiètent guère, sa télé brille tous les soirs et les liens distendus avec sa famille immédiate n'encouragent pas la curiosité. Le postier compte les boîtes et non pas les contacts avec les usagers. Donc il reste dans son appartement rongé par la vermine et les insectes pendant 28 mois. Un film qui pointe le dé-tricotage des liens sociaux dans les grandes villes. Une histoire genevoise mais de portée universelle.


Rien d'autre d'intéressant ce jour-là.


Mardi 27 novembre


Nos fiançailles, Chloé Mahieu et Lila Pinell, France, 52', The Factory Production, Arte


On commence avec les confidences d'une pouffiasse banale qui veut absolument faire ses fiançailles à l'église. Puis on passe à la conversation un peu étrange, car archaïque, avec les parents de la belle qui veut garder le contrôle sur qui, en tant que couple même marié, les jeunes rencontrent. On finit avec la même tête se maquillant dans un miroir, tandis que son garçon (un autre, elle a rompu ses fiançailles, la pauvre) s'enthousiasme aux chants des soldats nazis. Cette plongée dans les milieux de l'extrême droite catholique et militante a été remarquée à sa télédiffusion. Moi, je l'ai découverte pendant le festival, et dois admettre avoir été soufflé par la vivacité de ces courants chez des gens, y compris de l'église, assez jeunes. Il faut quand même la faire aujourd'hui, une messe à la gloire du Général Franco, grand défenseur de Dieu et de l'Eglise. Des rassemblements anti-gay pride aux messes à Saint Nicolas le Chardonnet, des diffusions de tracts où on est prêt à en découdre devant les portes de la fac d'Assas aux manifs où on crie "Bleu, blanc, rouge... la France aux français", on a l'estomac tordu à plusieurs moments de l'expérience du visionnage. Coup de chapeau aux réalisatrices qui ont su faire ce documentaire d'observation dans un milieu particulièrement méfiant.


Un village sans dimanche, Corinne Jacob et Philippe Baron, France, 52', Vivement lundi


Un joli rappel d'une lutte qui a divisé à la fin des années quarante, début des années cinquante, les deux clans d'un village breton, les républicains et les catholiques. Le village fini "interdit" de messe, d'enterrement, de baptême, le conseil municipal excommunié. Ce qui, en campagne bretonne à l'époque, était une honte absolue. Un rappel utile des tensions, ravivées aujourd'hui seulement quand on veut toucher aux subventions de l'école privée, mais qui ont quand même marqué cent cinquante ans de l'histoire des français.


Millevaches, mémoire rebelle, Benjamin Prost, France, 32', Ieca, Pi Carré, Félix Courty


Très bien photographié, ce sondage dans les abîmes d'une mémoire presque complètement effacée nous rappelle un "incident", une répression, un écrasement datant de la fin de la première guerre mondiale. Il s'agit du campement sur le plateau de plusieurs milliers de soldats russes qui prétendaient refuser de retourner au combat, voire fonder des soviets et rentrer dans leur pays qui, entre temps, avait fait une révolution et signé la paix avec les allemands. Ils sont bombardés par l'armée française et dispersés aux quatre coins du front.


La plaine de Sodome, Yaël Perlman, France, 58', Zeugma Films


Des entrepreneurs agricoles israéliens filmés de dos. Bien baraqués, leurs corps occupent bien la moitié de l'écran quand ils foncent en avant à travers les kilomètres de serres en plastique et les rangées de légumes dans la poussière. De l'autre côté, filmés de face, les ouvriers et ouvrières thaïlandais, endettés, dépendants, mais vivants dans ce décor de Far-West au pied d'une falaise de roche sableuse. Un film qui pourrait servir dans la popularisation de la campagne BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanction) menée en ce moment contre l'économie sioniste.


Mercredi 28 novembre


Planète à vendre, Alexis Marant, France, 90', Capa-Arte


Dossier un peu dense sur l'accaparement des terres (par dizaines et centaines de milliers d'hectares) dans les zones fertiles du sud par les nouvelles puissances économiques (Inde, Korée, Arabie Saoudite, Chine...) et par les sociétés financières. De belles séquences rendent compte du désarroi d'un groupe d'éleveurs éthiopiens menacés par le phénomène et de l'autre côté, de l'appétit du gain chez un opérateur français qui se targue de rendre 20 à 25% à ses investisseurs en transformant de la terre latino-américaine sous-utilisée en production agricole intensive. Bonjour les dégâts écologiques et sociaux. Très utile pour un débat.


Nouakchott, Kilomètre Point 0, film de stage animé par l'Echangeur, Florentine Julien et Stanislas Duhau, France/Mauritanie, 18', L'Echangeur


On hume l'odeur de la ville, on se régale de ses couleurs et de sa lumière, et on fait un tour de ses problèmes sociaux et économiques. Un film d'atelier subventionné plutôt réussi. Il peut-être projeté chez ceux ou celles qui s'intéressent aux problèmes urbains en Afrique.


Jeudi 29 novembre


Les Conti, Jérôme Palteau, France, 97', Les films d'ici, VIC production


Le récit de quatre mois (mars à juin 2009) de lutte par 1100 ouvriers à l'annonce de la fermeture de leur usine de pneus à Cleroix dans l'Oise. L'enjeu se détourne vite de la sauvegarde de leurs emplois (qui apparaît rapidement impossible face à la logique multinationale du patron allemand) vers l'amélioration au maximum du plan social. En combinant toute la palette de tactiques de la lutte moderne, y compris des moments de violence et de destruction de biens publics et privés, ils finissent par obtenir un quadruplement du coût de leur licenciement (de 60 à 200 m€).

Deux choses deviennent visibles dans ce film : il n'existe aucune mémoire de la tradition des luttes chez les syndicalistes de la maison. Il faut l'apport d'un retraité de L.O. pour pouvoir penser un peu stratégiquement l'évolution de la bagarre. Ensuite, il semble quasi impossible de lutter chez les seuls ouvriers contre la désindustrialisation de la France. La saignée sera sévère sans contrepoids étatique et le "modèle économique" de l'avenir est tout sauf clair. L'histoire est racontée dans un tricotage d'interviews et de séquences vécues à un rythme haletant. Le dénouement permet de respirer, un peu, dans le plaisir de cette victoire à la Pyrrhus mais aucune trace d'avenir alternatif à l'horizon. C'est vrai, ce n'est pas le propos du film. Mais il est utile de le faire pointer.


Moulin Galant, la question Rom, Mathieu Pheng, France, 52', BKE, Téléssonne


Suivi pendant un an d'un campement Rom à Corbeil Essonne, département Essonne (Manuel Valls, député, Jérôme Guedj, président du Conseil Général, tous les deux PS). Rencontre avec un militant admirable, Serge Guichard, fondateur et animateur principal de l'association de solidarité départementale avec les Roms. Au-delà des péripéties et des chamailleries de la vie quotidienne, le film nous montre l'abjection et l'hypocrisie des politiques français qui se complaisent dans un "ni-ni" insupportable - il s'agit ni d'intégrer (on ne veut pas) ni d'expulser (on ne peut pas). Des sommets de double langage et des pirouettes acrobatiques de renvoi de responsabilités sont au programme. Pour les amateurs du genre, c'est un délice. Pour nous autres, débectant.


Voukoum, François Perlier, France, 52', Réel Factory, Extérieur Jour, Télévisions Guadaloupe


Paysages splendides, fêtes, bruits de fouet, tambours, chants, transes, cours de revalorisation de la langue et de la culture créoles, textes de poésies forts chantant les louanges à la terre, aux morts, à l'histoire. Un bel éloge au réveil et au renouveau culturel et politique chez certains Guadeloupéens.


Récits de Fukushima, Alain De Haleux, 64', France/Belgique, Crescendo, Simple Production, L'indien productions, Arte France, RTBF


Huit reportages de huit ou neuf minutes, même format de rencontre avec un individu ou une famille, exposition de la situation vécue (lors du tremblement de terre ou après, en conséquence). Chez les Japonais comme chez les étrangers filmés, un fil rouge - l'inquiétude pour l'avenir des enfants et leur future santé.

Ces reportages révèlent progressivement ce que l'on sait par ailleurs et qui serait certainement reproduit en France, la pusillanimité, la complicité, la duplicité des instances de l'Etat, des entreprises responsables et les médias pour ne pas dire la vérité au public, pour mentir. Un exemple éclairant de ce que certains ont commencé à appeler la "société post-démocratique" (règne des technocrates et des lobbies), une société dont nous avons un superbe exemple naissant dans notre belle confédération européenne. Quelques scènes indiquent la résistance de certaines associations japonaises. Ce produit (on n'ose pas dire film) secoue assez fort malgré une narration et une musique pesantes à l'américaine.